L’entretien #throwback : Lydie, son expérience de General Manager en Chine pour une multinationale française

multinationale française en chine

Si les Chinois consomment de la Vache qui Rit, c’est un peu grâce à elle. Quand Lydie Laperal-Rocha a été appelée par la Direction du groupe BEL, en avril 2007 pour ouvrir le marché du fromage BEL en Chine, elle s’apprête à poser un congé parental, étant persuadée que la naissance de son 3e enfant serait un frein pour la suite de sa carrière. Sereine à l’idée de se poser dans un pays après des années passées à voyager dans ses différentes fonctions, elle accepte le challenge. Comme vous l’imaginez, FemmExpat a eu envie de tout savoir sur cette expérience. De la prise de décision à la vie quotidienne sur place, en passant par les défis culturels rencontrés en Chine…

Lydie, raconte-nous comment on prend ce genre de décision, alors que l’on est encore avec un petit bébé dans les bras…

Quand on annonce que l’on attend un 3e enfant, on est souvent persuadée que l’entreprise qui nous emploie ne va plus miser sur nous. On a l’impression, à tort, d’avoir perdu de la valeur professionnelle, et c’est vrai que l’on passe toutes par une remise en question et un tas de pensées plutôt négatives. Quand j’ai reçu ce coup de fil de ma direction, j’ai d’abord réalisé à quel point je m’étais trompée. Moi, j’avais l’impression que ma carrière allait marquer un coup d’arrêt, alors qu’en réalité, le groupe avait un vrai plan d’évolution pour moi. Avec le recul, je réalise à quel point ce manque de confiance en nous, femmes, jeunes mères, peut être en réalité un frein que nous posons nous-même à nos carrières.

Ensuite, lorsque j’ai parlé de la proposition de BEL à mon mari, sa réponse a été directe, sans équivoque et enthousiaste. Aujourd’hui, je sais que rien n’aurait été possible sans son soutien absolu et sa confiance en moi. On dit que la réussite d’une expatriation familiale repose sur l’appui du conjoint et je confirme que cela est encore plus vrai quand c’est le mari qui devient suiveur. Le départ en expatriation est une décision qui implique une famille, certes, mais c’est avant tout le choix d’un couple.

Vous voilà à Shanghai, où il y a tout à créer…

Tous ceux qui ont eu l’opportunité de pouvoir ouvrir des marchés dans des pays émergents vous le confirmeront, c’est une formidable aventure. Vous arrivez seule, sans bureau, et avec quelques contacts en poche. Il faut tout faire ! De l’installation des bureaux avec le choix du local, des meubles, du matériel, en passant par la sélection des partenaires externes (expert-comptable, avocat, distributeurs, agence de pub…), la familiarisation avec la législation du travail… et l’embauche d’une équipe… c’était énorme ! Mais le plus fascinant pour moi se situait ailleurs : Comment faire aimer le fromage aux Chinois ? Tout un défi qui a demandé une approche agile, itérative, beaucoup d’observation, d’humilité et de patience.

Comment avez-vous « affronté » cette nouvelle culture ?

Je ne connaissais rien ou peu de la Chine. Je n’ai pas eu d’accompagnement interculturel pour ma prise de poste, comme certaines sociétés peuvent le proposer aujourd’hui. J’y suis donc allée en mode « test and learn ». J’ai beaucoup observé, j’ai énormément échangé avec d’autres collègues sur place, puis j’ai rejoint le groupe des Conseillers du Commerce Extérieur à Shanghai. J’ai beaucoup appris de mes pairs.

Ce qui est très enthousiasmant, quand vous travaillez en Chine, en tout cas à cette époque, c’est le nombre de signaux positifs que vous recevez. Par exemple :

  • La culture chinoise est très hiérarchique, et ne fait aucune différence avec le fait que vous soyez un homme ou une femme. J’étais la boss, et à aucun moment je ne me suis sentie challengée ou devoir faire mes preuves avant d’obtenir la confiance de mes équipes. Là où en France j’avais souvent senti le côté « on attend de voir… », en Chine, le respect de la hiérarchie et de la séniorité est immédiat. Cela s’accompagne bien sûr de fortes attentes, car vous êtes considérée comme un mentor qui doit guider ses équipes. C’est une notion importante dans la culture chinoise.
  • Les Chinois sont par ailleurs d’un naturel curieux, joyeux et très joueurs. Si vous savez tourner vos missions sous forme de challenges compétitifs, ils vont passer à l’action avec un enthousiasme et une énergie incroyable. Et comme l’ouverture d’un nouveau marché est une question de défis quotidiens, j’avais devant moi une belle capacité de travail !
  • Enfin, et ce n’était pas un petit sujet pour moi : les Chinois ont la culture du food. Ils aiment manger et se retrouver autour d’une table pour partager. D’ailleurs, l’expression originelle pour dire bonjour en chinois « Ni hao che ma » signifie « as-tu bien mangé ». Un bon point quand on travaille pour un groupe alimentaire ! Mais surtout un excellent point lorsque l’on est une « foodie » comme moi et que les affaires se négocient souvent autour d’une table !

Mon premier travail a donc été de lister les points culturels sur lesquels on se retrouvait, afin de pouvoir capitaliser dessus, mais aussi ceux où ce serait plus compliqué.

  • Il a fallu par exemple décrypter leur « oui », qui n’en était pas toujours un. J’ai donc développé des réflexes avec mes équipes, comme le questionnement ou la reformulation : « Explique-moi comment tu vas t’y prendre pour faire cela »
  • Il m’a aussi fallu apprendre à gérer les aspects de débats d’opinions ou de confrontation. En Chine, il ne faut jamais faire perdre la face à un interlocuteur ou collaborateur en public, ne pas rentrer en conflit direct. Des choses où nos deux cultures sont assez différentes…

Mais alors qu’est-ce qui a été difficile ?

La pression du siège est souvent la plus compliquée à gérer dans ces cas-là. Peut-être n’était-elle même pas réelle, mais moi, et je pense que c’est assez féminin comme pensée, je la visualisais. J’avais en tête tous les coûts, les investissements engagés et les enjeux de réussite. Donc je me mettais une pression folle. De plus, il est clair que les délais de résultats souhaités par un siège à l’étranger ne sont pas toujours alignés sur le marché lui-même… 3 ans en Chine ce n’est rien : les Chinois pensent et planifient sur plusieurs générations !

Travailler en Chine, c’était aussi avoir de très longues journées de travail, car les réunions en après-midi pour la France occupaient souvent nos soirées chinoises. Pourtant, je ne regrette rien, c’était tellement passionnant !

Et Shanghai au quotidien ?

Au quotidien, mon pire agacement était la question « Mais comment fais-tu avec les enfants ? ». Quelle question culpabilisante ! Il n’y a pas pire pour vous renvoyer à la figure l’image de la mauvaise mère !

Tout d’abord mon mari et moi avions la chance d’avoir trouvé une aide à la maison extraordinaire. Il faut dire que pour cela, nous avions tous les deux appris les bases du mandarin à notre arrivée, en cours intensifs (4h par jour pendant 1 mois). Cela a permis de faciliter la communication avec notre nounou. Ensuite, mon temps libre était essentiellement consacré à mes enfants, car grâce à ce soutien, j’étais totalement libre et disponible pour eux. Ai-je perdu des opportunités de rencontres, de socialisation ? Je dirais que j’ai rencontré beaucoup de monde, mais pas forcément les mêmes personnes que si je n’avais pas été à ce poste. Enfin, nous avons énormément voyagé, et pris le temps de découvrir la Chine. Toute la famille en garde un souvenir merveilleux. Des années magiques et inoubliables !

C’est certainement en regard à cette aventure fabuleuse et épanouissante que j’ai vécu, que j’ai beaucoup de compassion pour les expatriés en Chine ces dernières années. Depuis la pandémie, les conditions locales sont très difficiles pour les locaux, mais aussi pour les étrangers qui ont aujourd’hui une expérience certainement très différente de la mienne. 

Quel message voudrais-tu faire passer aux FemmExpats qui hésitent à prendre le chemin d’une carrière internationale ?

Si vous en avez vraiment envie, faites-le ! C’est non seulement possible, mais cela représentera probablement une de vos expériences la plus incroyable à titre personnel et la plus enrichissante à titre professionnel. N’ayez aucune crainte si vous avez des enfants. Ils s’adaptent très vite et très bien et sont en général, eux aussi, très contents des nouveaux horizons qui s’ouvrent à eux. Ils en ressortiront grandis à tous niveaux. Si vous partez en couple, faites attention à votre conjoint, c’est pour lui que ce sera le plus difficile. Enfin, ayez en tête que finalement le plus dur, ce n’est pas de partir, mais de revenir !

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