Vivre au Japon après Fukushima

JaponRizFukushimaVoilà un sujet bien délicat quand on arrive au Japon. Assez complexe aussi, car à la manière des poupées russes, il renferme plusieurs problèmes non encore résolus.

Je précise que ce texte reflète mon opinion sur le sujet et ne constitue en rien parole d’Evangile (à bon entendeur). Je ne suis ni ingénieur, ni biologiste, encore moins médecin, je ne fais qu’écouter, lire et trier ce que je récolte.

Je suis arrivée au Japon bien après la catastrophe, fin 2012. N’ayant pas d’enfants, je dois avouer que le sujet de la radioactivité ne me préoccupait pas plus que ça. La vie à Tokyo avait repris normalement depuis longtemps et il n’y avait pas de contre-indication particulière de la part de l’Ambassade, à part l’interdiction de se rendre dans la zone restreinte autour de la centrale, ce qui ne me serait pas venu à l’idée !

La première chose qui m’a frappée, c’est que les Japonais parlent assez peu de tout ça. Quand on les interroge, ils racontent volontiers leur expérience du tremblement de terre, de la galère pour trouver à manger et à boire dans les heures qui ont suivi, ou de la super réactivité des équipes de secours, mais pas de Fukushima. Je ne lis qu’une partie de la presse locale, elle non plus n’évoque pas le sujet de la radioactivité. Le principal sujet en ce moment est de savoir si on va relancer les réacteurs les plus sûrs et quand. Le Japon a besoin d’énergie moins chère car les importations de gaz plombent sa balance commerciale.

Si on pose la question aux autorités françaises, elles renvoient systématiquement à la position du gouvernement japonais qui est de dire que tout va bien et qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Les Japonais en charge répètent inlassablement que tous les aliments vendus en supermarché sont testés, que l’eau du robinet est également passée au détecteur et que rien de dangereux n’est à signaler. Certains vous rappelleront quand même qu’en mars 2011, quand l’Ambassade de France a appelé ses ressortissants à fuir au plus vite, elle s’est fait vertement tirer les oreilles par le gouvernement japonais et que l’Ambassadeur a été assez vite remplacé. En même temps, il avait déjà fait ses 4 ans réglementaires…

De la même manière, le sujet des personnes déplacées est assez tabou. Des milliers de personnes sont toujours dans des préfabriqués, à attendre une solution pérenne de relogement. Beaucoup d’entre elles ont tout perdu, sont âgées et étaient mal assurées. Elles dépendent donc totalement du bon vouloir des autorités dont certains pensent qu’elles attendent patiemment que ces papys-mamies passent l’arme à gauche pour régler le problème sans dépenser un sou. Sur le sujet des territoires dévastés, on peut dire sans hésitation que le gouvernement japonais a fait le minimum. Les cours de récré ont été creusées pour enlever la couche contaminée et les enfants sont rapidement retournés jouer dehors. Même chose pour les champs agricoles. Les déchets sont collectés en attente de traitement dans la zone interdite. Certains médias dénoncent les examens médicaux biaisés faits sur les populations locales, notamment sur les enfants. Les médecins cacheraient la vérité aux parents. On a aussi beaucoup entendu parler des contrats de nettoyages de la centrale, laissés à des yakuzas pour faire le sale boulot. Tout ça n’est pas vraiment abordé ici, et les japonais à qui j’ai posé la question disent avoir entendu des rumeurs mais ne pas en savoir plus. Encore une fois, je ne veux pas tirer de conclusions hâtives. Les gens avaient envie de reprendre une vie normale, et je les comprends. Retourner chez eux, nettoyer leurs habitations, renvoyer les enfants à l’école, faisait aussi partie du travail de reconstruction personnel. La vie continue malgré tout.

Face à ce manque d’information, je comprends que certaines personnes se sentent mal à l’aise et inquiètes. On se retrouve à écouter tous les « on dit », parfois catastrophistes de gens qui « savent », ou « croient savoir », et à chercher de l’info sur internet sans en connaître la source. On entend de tout : les producteurs de riz de Fukushima viendraient chercher des sacs du sud pour vendre leur riz « masqué », les produits alimentaires ne sont testés que de façon sporadique sur des échantillons non significatifs,… j’en passe et des meilleures. C’est peut-être vrai, c’est peut-être faux, on n’en sait rien. D’où certaines réactions extrêmes, comme de ne plus acheter que des produits importés (il faut avoir les moyens), ou de ne plus manger de poisson du tout (bonne chance au Japon). Je suis toujours très triste quand je vois des familles devenues paranoïaques, qui se privent de toutes les joies de la gastronomie japonaises par peur de la contamination. Vivre avec une telle épée de Damoclès sur la tête doit être vraiment pénible et je leur souhaite une réaffectation rapide. Certaines mamans ont aussi développé des solutions de bon sens comme un réseau qui fait venir des légumes du sud, en mode AMAP. Les légumes et le riz de Fukushima sont en effet revenus dans les magasins et ils sont super bon marché. En fait, si on interroge les expats, chacun a sa façon de gérer la situation en excluant un aliment pensé dangereux, en repérant les kanjis des régions dangereuses sur les emballages des produits, ou… en ne faisant rien.

Pour finir, je voulais juste revenir sur ce qui s’est passé en mars 2011.

Au moment de la catastrophe, j’étais en France et ce que je lisais dans la presse étrangère du traitement de Fukushima par les autorités japonaises était assez dur. C’est vrai, le gouvernement japonais n’avait pas anticipé l’ampleur de la catastrophe et la gestion de la crise a été pitoyable. Le monde avait du mal à comprendre pourquoi les Japonais mentaient, cachaient la vérité et refusaient toute aide. Maintenant que je suis ici, je comprends un peu mieux le traumatisme qu’a été Fukushima : pas le tsunami, ni le tremblement de terre, mais bien l’accident de la centrale.

Les Japonais sont habitués aux catastrophes naturelles. Si terribles qu’elles soient, patiemment, courageusement, ils se relèvent et reconstruisent. C’est un peuple extrêmement fort et déterminé, avec un sens de la collectivité que je ne n’ai jamais vu ailleurs. Par contre, ils gèrent beaucoup moins bien les catastrophes humaines et techniques. Au Japon, tout marche comme sur des roulettes et tout est fait pour que ça dure. Les gens sont à leur poste et font leur travail, les machines fonctionnent, les transports sont à l’heure. L’infaillibilité et le zéro défaut sont des buts affichés. Aussi, la défaillance humaine est très mal vue car elle fait peser un poids sur la collectivité. Oui, être malade, ça arrive, mais on se sent généralement désolé pour ses collègues. La dépression est par exemple complètement taboue. L’opinion générale est que si on fait de son mieux, tout ira bien. Pour éviter cet aléa, les Japonais favorisent souvent les machines. Au Japon, on adore les robots et les automates. Vente, accueil, ils sont partout. A tel point que certains préfèrent avoir une petite amie virtuelle qu’une vraie, mais c’est un autre sujet. Dès lors, on comprend que la défaillance technique devient un véritable drame.

Fukushima est le résultat d’une double défaillance: technique et humaine.  La digue, pourtant infranchissable, n’a pas tenu. Le générateur de secours a été noyé, laissant le cœur de la centrale surchauffer et exploser. Tout cela en partie en raison d’une dilution des responsabilités, de négligence, de népotisme, lors de la construction de la centrale. Je comprends donc que le gouvernement se soit trouvé désemparé. Loin de moi l’idée de l’excuser, bien au contraire. Je veux juste dire que perdre la face et ses certitudes de façon aussi brutale, a causé un profond traumatisme qu’ils ont géré à la japonaise : en me montrant rien et en continuant le plus possible comme si de rien n’était.

Par Pauline.

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