Rentrer pour mieux repartir – Une année particulière

rentrer pour mieux repartir
(c) Liera’s Art Corner – Valérie Chèze

Moscou, septembre 2021, Valérie est de retour à Moscou après plus d’un an en France. Pour FemmExpat, et pour les nombreuses lectrices qui ont fait le choix cette année encore de ne pas repartir, elle revient sur cette année si particulière, cette parenthèse imposée, dans sa vie d’expat. Et dépeint si justement ce sentiment que l’on pourrait résumer en « rentrer, pour mieux repartir ».

 

 

 

 

 

Me voici de retour à Moscou après plus d’un an d’absence. En 2020, après 13 semaines passées confinés dans notre appartement, les enfants et moi avions quitté la capitale russe de près de 12 millions d’habitants pour un petit village corrézien d’une centaine d’âmes.

« Attendons lundi pour prendre une décision »

24 août 2020. Je suis sur la terrasse, face à notre campagne. L’été s’étire, le soleil fait jouer ses rayons sur le pré mais la fraicheur annonce l’automne qui arrive. C’est ma saison préférée. Je la savoure. C’est que je l’avais oubliée, j’étais toujours repartie à cette date. Je rentre dans le salon et je marque un temps d’arrêt. La lumière est différente, les rayons rasent le sol et illuminent la pièce d’une façon nouvelle. Je réalise que je n’ai jamais vécu dans cette maison à la fin de l’été. Je la découvre. Des parfums nouveaux. Une sérénité retrouvée après les visites estivales. Une langueur bienveillante. Mon esprit s’échappe puis très vite je me souviens de la phrase de mon époux : « attendons lundi pour prendre notre décision ». Nous sommes lundi, nous ne pouvons plus la reporter. La semaine prochaine ce sera la rentrée des classes. Et nous devons décider du chemin que nos enfants prendront cette année.

Mon départ « sans billet retour » quelques semaines plus tôt

Cet été a eu une couleur d’étrangeté. Pour la première fois de ma vie, je suis partie sans billet retour. Pour la première fois de ma vie je n’ai rien organisé, presque rien anticipé. Pour la première fois de ma vie je me suis laissée porter. Je suis rentrée début juin avec mes deux derniers enfants dans un vol de rapatriement, j’ai pris quelques valises, y ajoutant des vêtements d’automne au cas où et j’ai tiré la porte de l’appartement rapidement, trop pressée de rejoindre notre datcha corrézienne.

Ce jour de juin marquait la date de notre libération. Délivrance après des semaines de confinement. Treize semaines sans sortir de l’appartement, avec seule autorisation de pouvoir aller à cent mètres. Si nous avions su que nous serions enfermés de si longues semaines, aurais-je fait un choix différent trois mois avant ? Oui très probablement. Je ne serais pas rentrée. Mes enfants de 16 et 12 ans n’auraient pas passé tout ce temps enfermés, naviguant de leur lit à leur ordinateur pour suivre leurs cours en ligne.

Aujourd’hui mon téléphone reste silencieux. De nombreux amis ont définitivement quitté la Russie pour la France et l’ailleurs, et les autres se taisent. Font-ils comme nous ? Se posent-ils des milliards de questions ? En mars il fallait faire un choix mais maintenant il s’agit de prendre une décision et ce n’est pas du tout la même chose.

Je suis en pleine lecture d’un très joli livre, « La confiance en soi, une philosophie », de Charles Pépin et ce que je lis me parle. « Décider c’est trouver la force de s’engager dans l’incertitude, réussir à y aller dans le doute, malgré le doute. […] Choisir c’est se reposer sur des critères rationnels pour armer le bras de son action. Décider c’est compenser l’insuffisance de ces critères par l’usage de sa liberté. Choisir, c’est savoir avant d’agir. Décider, c’est agir avant de savoir ». Tout est dit. Des doutes nous en avons, tous, tout le temps, et il faut pourtant avancer.

 

Décider : quand l’expatriation a ses limites et que nous les touchons du doigt

Aujourd’hui l’incertitude est à son apogée, ce virus le prouve. Les media français semblent vouloir affoler la population mais qui croire vraiment ? L’automne verra-t-il surgir une deuxième vague ? Ou bien le virus repartira-t-il aussi soudainement qu’il est venu ? Nul ne peut prédire. Nous devons tous vivre avec ce mystère. Et pourtant la raison nous rattrape à grands pas. Les frontières avec la Russie sont fermées, il n’y a pas de vols commerciaux et si nous prenons un vol de rapatriement, revenir sera très compliqué. Bien sûr la situation peut changer du jour au lendemain mais ce lundi nous devons décider : inscrire ou pas nos enfants dans des écoles en France, se mettre ou pas sur des vols de rapatriement.

Plus le temps avance plus nous avons le sentiment que nous devons pour une fois agir avant de savoir. Et nos violons sont parfaitement accordés. Nous ne souhaitons pas imposer un éventuel nouveau confinement en appartement à nos enfants. Notre fille aînée, étudiante en France, peut avoir besoin de l’un de nous, ma grand-mère de 106 ans peut s’en aller à tout moment, ce que je ne peux pas laisser ma mère de 84 ans gérer seule. L’expatriation a ses limites et nous les touchons du doigt. La Russie est certes le plus grand pays du monde et nous ne serions pas en manque d’idée d’autres voyages, mais là n’est pas le problème. Le plus important c’est notre famille. C’est décidé : je resterai en France avec les enfants tant que les frontières seront fermées. « Agir avant de savoir ».

 

Rester en France : agir, avant de savoir

 

11 septembre 2020. Étrange sensation. La maison s’est vidée. Mon mari est reparti en Russie, les enfants sont en classe et j’ai repris le travail, par chance nomade, naviguant de mon bureau à la table de la terrasse pour profiter encore un peu de ce bel été indien. Mes amis de Moscou me manquent, mes amis de France sont ravis. Ma mère est soulagée. Nous avons agi avant de savoir, nous avons pris notre décision et nous allons maintenant faire en sorte que ce soit la meilleure.

 

2 novembre 2020. Les enfants viennent de partir pour l’école, masqués et munis de leur attestation. On se croirait dans un méchant roman d’anticipation. Mais non, enfin pas encore… Nous sommes de nouveau reconfinés. Je sors marcher dans l’aurore. Il fait frais, le village s’éveille, les lucarnes s’illuminent peu à peu et de rares voitures me frôlent. Et quand je m’engage sur le sentier dans les feuilles bruissantes, je sens l’angoisse me vriller le ventre. J’essaie de profiter du moment présent. Soudain un parfum de braise me renvoie des années en arrière, quand nous mangions des marrons tout juste sortis du cantou. Des moments d’insouciance. Dites, quand reviendrez-vous ?

 

Être chez soi et réaliser…

(c) Liera’s Art Corner – Valérie Chèze

Je remonte le petit chemin. Le jour vient de se lever et en haut de la butte je la vois, ma Corrèze, si merveilleusement belle cet automne. J’avais oublié ces dégradés de rouille, ces jaunes dorés, ces rouges flamboyants, ces verts persistants. J’avais oublié ces rayons dardant à l’oblique et ce ciel à la lumière si particulière, un bleu toujours lumineux mais plus frais et moins dense qu’en été, comme délavé par le lent déclin des jours. J’avais oublié les parfums des sous-bois, la fragrance d’un cèpe et la délicatesse d’une coulemelle. J’avais quitté ce pays mais la payse que je suis restée est revenue au bercail. Assise sur une pierre et adossée à un chêne, je contemple la vallée. Finalement, il faut être parti pour réaliser ce que l’on a perdu. Il faut s’en être allé loin pour mesurer ce manque. Les gens d’ici – qui me croient d’ailleurs alors que ma famille a les racines chevillées au corps de ce hameau – se rendent-ils compte que vivre dans un village en ce moment est un luxe inouï ? Savent-ils que nos maisons nous protègent, avec leurs murs épais écoutant la fureur du monde pour la renvoyer loin de nous et nous envelopper de leur chaleur bienveillante ? Il y a quelques mois encore, cloîtrée dans une mégalopole à plus de trois mille kilomètres de chez moi, je rêvais de ces forêts, de ces vallées et de ces prés. Et maintenant, en mettant mes pas dans les traces boueuses d’un tracteur, voici ce que je me dis : quand les menaces nous assaillent, l’envie nous prend de revenir aux sources, de revoir notre clocher, de faire un feu de cheminée. Rentrer chez nous.

 

2021 : un monde un peu moins en chamaille, mais plein d’imprévus 

 

Février 2021. Notre fille Louise est en première et même si elle se sent bien dans son nouveau lycée et a lié des amitiés, Moscou et ses amis lui manquent. Elle repart avec son père à Moscou pour poursuivre sa scolarité au Lycée Français. Voir partir ma fille de 17 ans m’arrache des larmes mais je respecte son choix et au moins mon mari ne sera pas tout seul.

 

Juillet 2021. Le monde est un petit peu moins en chamaille, ma grand-mère a fêté ses 107 ans, Léa rentre en école d’ostéopathie en septembre, Louise vient de rentrer en vacances. Et c’est officiel, Antonin et moi rentrons en Russie pour la prochaine rentrée. Heureux de retrouver notre cocon familial presqu’au complet, heureux de retrouver la Russie, ce pays si attachant. Cette année aura été une belle parenthèse : profiter de ma famille, de mes voisins, de mes amis de France, faire de très belles rencontres, écrire deux livres, décorer notre maison, jardiner, donner des cours de français dans un lycée agricole, faire des photos, animer des ateliers d’écriture, peindre un peu et beaucoup travailler pour ma société free-lance. Une année riche et pleine de peps finalement.

 

25 août 2021. Nos valises sont presque terminées, nous sommes contents de rentrer, heureux de poursuivre notre vie comme avant. Pourtant en début d’après-midi un imprévu s’annonce (les années 2020 semblent être celles des imprévus) : le test PCR de notre fils Antonin, obligatoire pour rentrer en Russie, est positif. Nous sommes pourtant vaccinés et tous les contacts directs d’Antonin sont négatifs… Les enfants vont manquer leur rentrée. Antonin s’isole dans sa chambre, nous ressortons le fromage et le saucisson des valises, profitons du beau temps et de la bonne chère et reprenons nos activités en distanciel, attendant impatiemment le deuxième test.

 

7 septembre 2021. Nos quatre tests PCR négatifs en poche, nous rentrons enfin à Moscou ! Les enfants font leur rentrée, un peu en décalé, et sont ravis de trouver le Lycée Français et leurs amis. Je reprends rapidement mes marques, avec l’impression d’être revenue après simplement deux mois de vacances. Je sors faire un tour dans le quartier et j’ai l’étrange sensation d’être rentrée chez moi, alors que je ne suis pas chez moi. La langue russe revient sur mes lèvres, ni moins bonne ni meilleure, exactement la même. Ma famille et mes amis français vont me manquer c’est certain mais je suis heureuse d’être revenue. Je suis ravie de retrouver notre appartement, nos amis, de faire de nouvelles rencontres et surtout de profiter de toute l’énergie incroyable de cette belle ville de Moscou.

 

En même temps je réalise maintenant à quel point cette période nous a changés. Nous sommes différents. Pas perturbés, pas affaiblis, mais transformés. Sans doute plus posés, sans doute moins enclins à vouloir tout décider, tout contrôler. Avoir vécu huit ans à l’étranger modifie forcément notre perception et nos attitudes. La résilience des Russes a un peu déteint sur nous et comme eux, nous profitons du moment présent car nous savons que tout peut évoluer le lendemain.

 

Valérie depuis Moscou

Rédactrice, correctrice et traductrice, elle vit à Moscou depuis bientôt 9 ans avec sa famille. Après un parcours dans le transit international et l’enseignement, Valérie Chèze vient de créer la société Le temps d’écrire  et vous propose de la rejoindre au cours d’ateliers d’écriture !

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