Stéphanie Libreros : comment, ingénieur, je suis devenue artiste-peintre en expatriation

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2015. Stéphanie Libreros écrit à Femmexpat. 

« Aujourd’hui quand on me demande ce que je fais, j’ai encore une petite hésitation à dire que je suis artiste peintre. Je ne me sens pas légitime.

Et pourtant prononcer le terme artiste peintre, même du bout des lèvres, est un grand pas. Il y a quelques mois je disais « je bossais chez Total maintenant je peins », puis « je peins » tout court. Cela déroute toujours mon interlocuteur qui ne comprend qu’après une longue explication.

Et pourtant, dans mon esprit, mon projet est très clair.

C’est un projet qui murit depuis très longtemps sans que ce soit vraiment conscient.

J’ai commencé à peindre petite, les mercredis après midi, chez Madame Reineville, à Pontoise. Il faudrait que je demande à maman pourquoi elle m’y avait inscrite, je ne m’en souviens pas très clairement, suffisamment pas pour me dire que l’initiative ne devait pas vraiment venir de chez moi.

Mais cela m’a plu, ce silence dans l’atelier, le pinceau qui glisse, les couleurs qui surgissent. Cela plaisait aussi à mon maître puisque j’ai exposé très vite, à 10 ans peut-être, dans la salle communale de ma ville de banlieue. Un homme est venu me demander combien je vendais mon tableau. Cela m’a glacée, jamais au grand jamais je n’avais imaginé que je puisse le vendre, ni m’en détacher, ni le laisser partir. Mon pauvre interlocuteur a dû être surpris, quant à moi, je n’ai jamais plus voulu exposer…

Et la vie a continué, j’ai bien étudié, j’ai suivi les rails de l’excellence académique, j’ai fait de très belles études, ce qui rendait mon entourage très fier et par ricochets moi aussi. Alors j’ai foncé tête baissée, Dauphine puis les Mines de Paris, pour ensuite entamer une carrière prometteuse chez Total. J’étais gonflée de diplômes, avec une tête bien faite, une jeune femme brillante. On m’attendait.

Et nous sommes partis au Brésil. Mon mari a été expatrié, je l’ai suivi, j’ai été embauchée par Total à Rio, pour un job nouveau, exaltant, amusant. La vie allait bien, merci.

C’est un soir que tout a basculé. Il me manquait quelque chose, mon job qui était si sympathique ne me nourrissait pas assez,  la vie qui était si douce à Rio me semblait incomplète. Les amis qui m’accompagnaient ce soir-là m’ont glissé discrètement  « Stéphanie, et la peinture ? ». La peinture ! Mais oui ! La caipirinha, les couleurs, les sons, les mouvements, l’espace de Rio de Janeiro ont fait le reste. Ce que j’avais enfoui depuis ma première vente ratée, et toutes mes tentatives incertaines de reprendre la peinture le soir en rentrant du boulot… Tout cela faisait sens.

Après quelques jours de réflexion, j’ai présenté ma démission, je me suis inscrite à l’école des arts visuels de Rio, et depuis je ne lâche plus un seul jour de semaine mon pinceau ou mon crayon. J’ai mûri, j’ai travaillé, j’ai exposé (et vendu !).

Il a fallu du courage ? Oh oui. Abandonner ce bon sofa confortable d’une carrière toute tracée dans un univers ultra-connu, pour se retrouver sans légitimité, face à moi-même dans un milieu que je ne connaissais pas. Oui il a fallu du courage, et presque de l’inconscience. Mais quelle récompense que d’être heureuse tous les jours en se levant, avec la perspective de savoir que mon pinceau ou mon crayon va glisser sous mes doigts. Et de savoir que j’ai de quoi nourrir toute ma vie. Je sais que je vais devoir travailler encore et encore, que je vais devoir chercher longtemps, avec une grande humilité, ce qui m’habite et comment l’exprimer.

Et j’ai une chance immense d’avoir mon mécène et mon premier fan à la maison, mon mari. Lui qui n’a jamais voulu une seconde que je lâche ma carrière, il est le premier aujourd’hui à me soutenir et m’encourager. Un délicieux indice : quand il rentre tard le soir épuisé du boulot, avant de dire qu’il est arrivé, il se glisse sans bruit dans mon atelier pour découvrir les travaux de la journée. Et reste un instant à les apprécier. Cela m’émeut à chaque fois.

En 2020, de retour en France, Stéphanie Libreros témoigne : 

Peindre, c’est une expatriation permanente 

Je vis en dehors de. De la vie que j’avais avant, du rythme parisien, de mes repères culturels. C’est un nouveau métier, un nouveau réseau, un nouveau projet qu’il faut que je construise pas à pas, patiemment. C’est l’incertitude au quotidien. Et les crises sont fréquentes…

Soit, je n’arrive à rien, soit je me heurte à un mur d’incompréhension, voire même pire d’indifférence, soit, je suis tout simplement épuisée. Vous lisez cela et vous dites que je ne suis pas la seule à vivre ces crises. Tout le monde les traverse. Pas besoin d’être artiste pour cela. Et vous avez raison.

La vraie richesse pour moi c’est que ces crises nourrissent mon travail créateur

Comme Descartes, c’est en vivant dans l’isolement, dans la solitude qu’il a mûri sa pensée. Comme Freud, c’est dans une crise existentielle intense qu’il a « inventé » l’auto-analyse puis la psychanalyse. Je n’ai la prétention de vouloir égaler ni la pensée cartésienne ni la révolution freudienne, bien au contraire, je ne sais travailler qu’avec ce que j’expérimente directement. Une couleur qui se détache, une lumière qui traverse, une transparence qui déforme, une matière qui résiste, un souvenir qui marque, une tache qui se répète au quotidien, … Et ce qui m’anime dans le fond, c’est de pouvoir partager ce regard, un regard si possible d’émerveillement sur ce qui nous entoure.

Car je crois que c’est en :

  • s’arrêtant sur ce qui fait notre quotidien,
  • percevant intensément ce qui nous entoure, là, juste là,
  • regardant ce que l’on voit, et en s’émerveillant de ce que c’est,
  • s’arrêtant et en faisant silence, un silence actif,
  • écoutant ce que l’autre est, ce que l’autre fait,
    Qu’on redonne sens.

Et je rêve d’être capable de transmettre cela

En m’arrêtant, en respirant, en portant un autre regard, je rêve de donner envie de s’arrêter, de respirer, de porter un autre regard.
Et je rêve de le faire là où tous passent la plus grande partie de leur quotidien. Là où la crise de sens, d’espoir, de lien est la plus forte : sur le lieu de travail.

En pleine crise du Covid, Stéphanie Libreros dessine pour aider les expatriés à vivre l’impossible deuil confiné. FemmExpat en a parlé dans cet article. 

Pour consteller votre fil Instagram de bribes de couleurs, suivez ses travaux sur Instagram @cetautrelacouleur

Ou pour mieux connaître Stéphanie Libreros, rendez-vous sur : www.stephanielibreros.com

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