La co-éducation dans le couple interculturel : le récit d’Emilie, en Inde.

co-éducationEmilie Anand est née en France et est partie s’installer en Inde en 2006. Elle y a lancé sa carrière et fondé sa famille mixte en épousant un Indien en 2014. Leur fils, petit métis, est né dans la foulée. Pour lui, elle a écrit et publié « Bandati, petit métis », en 2021. Elle évoque pour nous son challenge quotidien depuis la naissance de son fils : la co-éducation dans le couple interculturel. Ou : quand les règles d’éducation qui nous semblent être un problème de « bon sens » sont en fait un problème culturel. En fin d’article, ne manquez pas le point de vue de Béatrice de Carpentier, expat Coach chez Expat Communication et conseillère conjugale et familiale. 

 

 

L’Inde, l’étranger et les traditions

Rejoindre une famille indienne n’est pas chose aisée, surtout si c’est l’homme qui est indien car beaucoup repose sur ses épaules. Ne sont donc pas rares les Indiens qui cachent leur relation à leurs parents, de peur de se faire renier. Certains se marient même en secret, pendant que les parents continuent de leur côté d’écumer les CVs de prétendantes en attendant que jeunesse se passe et que leur enfant retourne à la raison.

C’est qu’en Inde, le tissu social est primordial, c’est le filet qui empêche que tout s’écroule quand on n’a pas de sécurité sociale. C’est la famille vers qui on se tourne quand on a besoin d’argent pour soigner un parent qui tombe malade, pour une incinération ou un mariage par exemple. Alors le qu’en-dira-t-on dicte les gestes de chacun. C’est déjà un scandale quand un fils ou une fille s’égare hors de sa religion ou de sa caste (les crimes d’honneur existent encore avec 3000 victimes recensées en 2014 par le National Crime Records Bureau indien). Mais alors s’il ou elle s’acoquine avec un(e) occidental(e) aux mœurs légères, c’est le pompon !

La gestion de notre couple mixte s’est donc mise en place relativement facilement, d’autant plus que ma belle-famille vit loin de nous, ne s’immisce pas dans nos affaires et que nous sommes tous les deux ouverts au monde. Pour autant, les choses auraient pu se corser avec l’arrivée de notre enfant. Les questions que nous nous sommes alors posées auraient bien pu nous mener au pugilat.

Quand l’enfant arrive…

Quelle nationalité aura-t-il ?

L’Inde n’autorisant pas la double nationalité, il serait Français bien sûr !
C’était très égoïstement sans compter sur les sentiments de mon mari. Ayant lui-même eu quelques aventures visastiques, le passeport français fut décidé à l’unanimité assez rapidement.

Où dormira-t-il ?

Quand il me semblait évident qu’il irait dans son lit dès la première nuit, mon mari ne pouvait envisager qu’il dorme ailleurs que dans le nôtre. Au final, j’ai acheté un beau berceau high-tech que je n’ai que très peu utilisé : mon bon sens pratique de mère allaitante m’a vite fait opter pour le co-dodo les premiers mois avant de lui donner son indépendance nocturne, une indépendance assez souple cependant. (J’adore me réveiller à côté de mon fils qui se glisse entre nos draps au petit matin ! Et tant pis pour l’ « intimité » matinale qui n’est de toute façon pas vraiment ma tasse de chai.)

Comment mangera-t-il ?

(Heureusement pour nous, mon mari ne fait pas partie des 35-40% d’Indiens végétariens et, encore mieux, est friand de cuisine occidentale non épicée. La question ne s’est donc pas posée de savoir ce qu’il mangerait, mais plutôt comment.) Nourri à la main toute la sainte journée par la famille indienne très soucieuse (pour ne pas dire obsédée) qu’un estomac ne soit jamais vide ? Ou à la française, à heures fixes, dans sa chaise haute et il finit son repas ou on le réchauffe au goûter ? Là encore, nous avons trouvé une voie médiane, moins stricte que les méthodes de mes compatriotes. Il mange seul, avec ses doigts quand la nourriture s’y prête et se laisse nourrir avec plaisir quand nous sommes pressés. Il apprend à ne pas gâcher mais aussi à suivre son appétit.

Quelle sera sa langue maternelle ?

Je pris le parti de lui parler exclusivement en français tandis que mon mari optait pour l’anglais, la langue de notre foyer, même s’il est lui-même hindiphone, malayalam-ophone et un peu francophone. Puisque nous vivons en Inde, il comptait sur l’environnement pour que notre fils apprenne l’hindi – ce qui est quand même moins automatique à Mumbai qu’à Delhi. Et bien j’ai eu beau faire, à six ans, mon garçon est anglophone. Je me prends régulièrement des remontrances de la part des partisans de la méthode Un-Parent-Une-Langue mais aussi des compliments de la part de ceux qui pensent que le cerveau doit d’abord se structurer dans une langue avant que d’autres soient enseignées. (Selon une amie linguiste, la frontière est ténue entre le polyglottisme et l’allottisme ; par exemple une personne peut être capable de communiquer dans plusieurs langues mais sans en posséder vraiment aucune.) Quoi qu’il en soit, mon fils est un anglophone qui comprend parfaitement le français et l’hindi mais qu’il refuse de parler pour l’instant.

À quelle religion souscrira-t-il ?

Heureusement ce point épineux ne nous a pas posé de problème, ni mon mari ni moi ne pratiquant notre hindouisme et catholicisme respectifs. Nous célébrons des festivals de chaque religion mais surtout pour le folklore. J’ai d’ailleurs remarqué que c’est largement une responsabilité féminine que de transmettre la culture. Si je n’allume pas de bougies pour Diwali, ce n’est pas mon mari qui s’en chargerait ! D’ailleurs, nous ne fêtons jamais d’évènement de sa culture maternelle d’Inde du Sud que je ne connais pas.

Nous avons eu de la chance d’être capables de nous mettre d’accord sur tous les sujets, nous émerveillant souvent de la manière dont l’autre aborde les choses. Nous éduquons notre petit franco-indien à notre curry, sans que nos familles respectives ne s’en mêlent, ce qui nous laisse une grande latitude.

Comment aborder le sujet de la co-éducation ?

Comment aborder avec lui la question de son métissage, physique et culturel ? Ne trouvant pas de livre comme support, j’ai écrit, illustré et publié un ouvrage en français et en anglais pour les 3-7 ans, Bandati, petit métis (tous les détails sur le livre, des extraits, où l’acheter etc. sont sur le site www.bandati.org).

L’avis de l’Expert expat’ sur la co-éducation


Il me semble qu’Emilie évoque ici deux sujets distincts : d’une part, la gestion des différences culturelles dans le couple, et d’autre part, la question de l’identité chez les enfants issus de couples multiculturels.

La gestion des différences culturelles dans le couple 

Concernant le premier sujet, quand deux personnes de nationalité différentes tombent amoureuses, habituellement chacun commence par s’émerveiller du monde qu’il découvre chez et à travers l’autre, et tout semble facile. Puis, avec le temps, et l’arrivée des enfants en particulier !, les différences se figent sur toutes les petites décisions du quotidien, et on réalise que ce qui relève pour nous de l’« évidence » ou des règles d’éducation de « bon sens », n’est pas une évidence pour l’autre.


Un choix s’offre alors à nous : le conflit et la lutte de pouvoir, ou la co-création, si bien décrite par Emilie. En réalité, ce choix n’est pas facile pour tous. Il vient toucher nos croyances profondes, notre capacité à distinguer ce que nous sommes de ce que nous avons reçu, notre capacité à dialoguer et à accepter de remettre en question nos convictions. Nous avons vite fait en effet, ne serait-ce que pour aller plus vite ou ne pas trop réfléchir, de ne considérer nos convictions réciproques que comme deux blocs qui s’affrontent. Ces différences peuvent engendrer des conflits particulièrement houleux autour de l’éducation des enfants, car chacun souhaite donner le meilleur à son enfant. Ainsi, si l’on n’a pas pris le temps de réfléchir et de dialoguer sur ce qu’est ce « meilleur » (en ayant confiance que l’autre aussi souhaite donner la meilleure éducation possible à son enfant, et que sa version n’est pas forcément moins bonne que la nôtre !), les différences se cristallisent et ce sont souvent les enfants qui en font malheureusement les frais.

Un chemin pour vivre la co-création consiste à examiner ces convictions de plus près, à les questionner élément par élément, comme l’ont fait Emilie et son mari, à peser ce qui fait sens pour nous et ce qui n’en fait pas ou plus, puis à trouver une nouvelle base de convictions communes propre à notre couple. Au fond, on se choisit l’un l’autre inconsciemment en fonction de cette complémentarité dont nous pressentons qu’elle va nous libérer et nous faire grandir. Mais devant la différence de l’autre, nous « calons » souvent, avec l’envie de se replier sur ce qui nous rassure à première vue, c’est-à-dire ce que nous connaissons. Or c’est un vrai chemin de joie et de libération que de se laisser un peu bousculé par l’autre, de lui laisser sa chance pour qu’il nous guide vers une voie nouvelle, conjuguant ce que chacun apporte pour en faire une nouvelle base féconde.

La question de l’identité chez les enfants issus de parents binationaux


L’autre sujet abordé par Emilie touche à la recherche d’identité des enfants issus de parents binationaux. Cette recherche existe aussi chez les enfants ayant beaucoup déménagé et/ou vécu en expatriation. Que répondre à la question « d’où viens-tu ? » quand on connaît à peine les cultures d’origine de ses parents, ou qu’on a assimilé petit à petit une part de plusieurs cultures rencontrées au fil des déménagements ? Or cette question peut revenir souvent, en particulier pour des enfants dont le métissage physique empêche de l’assimiler directement à une culture particulière.


Pour moi, la réponse à cette question correspond au choix du rocher sur lequel chacun se construit. Nous avons besoin de définir un rocher solide, hérité de notre passé, sur lequel nous allons ensuite construire notre personne. Ce rocher est nécessaire. En revanche, il est en réalité en partie subjectif, parfois même imaginaire, et très personnel : dire que je viens de tel ou tel pays, de telle ou telle région, qu’est-ce que cela représente pour moi au fond ? Il me semble que chacun y met ce qu’il souhaite retenir de son histoire personnelle, familiale et sociale, à partir des éléments réels et imaginaires choisis en fonction de la manière dont ils ont été vécus et reçus. A partir de ce rocher, chacun va construire sa propre personnalité, son chemin, son histoire.

Ainsi, une piste pour accompagner les enfants de couples binationaux dans leur quête identitaire peut être de leur poser régulièrement la question, en accueillant leur réponse, même si elle nous paraît étrange. Ainsi, moi qui avais beaucoup déménagé enfant, et jamais habité dans la région d’origine de mes parents, je répondais toujours que c’est de là que je venais. Cela surprenait mes parents, mais c’est sur ce rocher que j’avais choisi de me construire, même si ma personnalité était imprégnée de tant d’autres régions par ailleurs.


Nous pouvons transmettre généreusement tout ce que nous avons pu recevoir de nos cultures différentes, et de celles que nous avons rencontrées au gré des déménagements, et laisser notre enfant faire le tri pour se construire son propre rocher sur lequel il pourra s’appuyer. Ainsi, la réponse à la question « d’où viens-tu ? » pourra ensuite s’enrichir de ses autres expériences pour construire la réponse à la question « qui es-tu ?».

Béatrice de Carpentier, juillet 2021

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