Quand s’ajoute à la distance, l’impossibilité d’organiser des funérailles, comment faire son deuil et surmonter la perte ?
Adélaïde Russell, psychologue spécialisée auprès des expats, nous livre des pistes pour affronter ces moments douloureux.
Une gestion inédite des rituels
En ces temps de turbulences extérieures liés à la pandémie du coronavirus, peuvent aussi s’ajouter des moments de bouleversements intérieurs dans le cas du décès d’un proche (du Covid-19 ou pour une autre raison). La mort est la fin du cycle de la vie… Mais dans ce contexte de crise sanitaire, elle peut être accidentellement précipitée.
Se rajoute aussi une gestion inédite des rituels au vu des mesures de confinement quasi mondiales.
Dans de telles circonstances, oui, le poids de la distance géographique et de l’impossible présence physique due aux fermetures des frontières va peser de façon encore plus forte sur la famille expatriée.
Une perte vécue à distance, c’est-à-dire l’absence autour de l’absence, éclaire un des aspects les plus négatifs de l’expatriation.
Mais il faut faire avec cet élément dramatique de la réalité afin qu’il ne devienne pas un facteur aggravant de mal-être. Et encore une fois, puiser en soi et autour de soi, divers appuis pour continuer à avancer de façon la plus apaisée possible…
En expatriation, quelque soient les cironstances, tout est plus compliqué autour de la mort
Quelque soient les circonstances et contexte du décès, lorsque l’on est éloigné et à l’étranger, dans l’incapacité d’une présence physique, tout est plus compliqué autour de la mort de l’être cher.
C’est un déferlement de pensées et d’émotions qui envahit l’esprit et le cœur. Elles vont guider les premières journées de l’annonce et le démarrage du travail de deuil.
Les différentes étapes du deuil se traversent de manière unique par chacun, dans une chronologie parfois variée
On ne passe pas forcément par tous les stades, ni dans le même ordre ni avec le même rythme. On revient en arrière, on avance….
Car c’est l’investissement des liens affectifs avec la personne disparue qui va teinter l’intensité et la durée du travail de deuil.
C’est bien en fonction de la place qu’a cette personne dans son petit monde affectif interne à soi, dans son cœur, que le deuil va suivre tel ou tel chemin.
Donc suivant chacun, les premières étapes très spontanées de choc, de sidération puis de déni vont ensuite laisser place (sur un temps plus ou moins long), à de la colère, du marchandage, de la détresse et de la tristesse. Pour finalement aboutir à l’intégration acceptée d’une nouvelle relation.
Cette dernière étape offre la possibilité de tisser désormais avec le ou la défunt(e) un autre lien, différemment et autrement : sa présence est internalisée dans ses propres représentations mentales et un dialogue interne se met en place avec l’absent(e).
Les divers rites funéraires ont de nombreux bienfaits
Oui, bien-sûr c’est mieux pour tout le monde d’être là, présent physiquement, dans l’accompagnement des derniers moments de vie pour se dire aurevoir.
Puis, une fois la mort venue, guidé par les rituels funéraires, partager un rassemblement réconfortant autour de celui ou celle qui est partie, fait du bien.
Les divers rites funéraires, obsèques et célébrations de la vie ont de nombreux bienfaits.
Ils aident à :
- réaliser le choc de la réalité,
- partager dans une communauté affectueuse ce vécu de cycle de fin de vie,
- honorer la vie du défunt,
- apaiser ses propres angoisses de mort.
Or, ces démonstrations concrètes qui pansent la blessure de la mort sont impossibles actuellement en cette période de confinement pour les expatriés.
A l’étranger, loin des relations familiales ou amicales qui nous lient au disparu, il faut composer avec cette terrible réalité. Et on fait avec ce que l’on est et ce que l’on a…
Mouvement vers soi
Alors je propose de repartir du mental, de cet espace intime en soi, lieu du discours intérieur, pour faire face à la perte d’un être cher dans ces circonstances actuelles qui la font vivre de façon encore plus dramatique.
Vous savez, le mental c’est cette petite radio intérieure qui commente en permanence ce que l’on fait et pense, cette voix en sourdine qui colore nos présentations mentales et la façon dont on vit au quotidien.
Elle a été identifiée depuis longtemps, par exemple le philosophe grec Epictète disait : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses mais les opinions qu’ils en ont ».
Le grand risque lors d’un décès vécu de loin et à distance est la culpabilité
C’est un mouvement naturel qui va teinter le discours entre soi et soi, d’auto-accusation et d’auto-dénigrement. On se reproche de n’avoir pas su, pas anticipé, pas accompagné, de n’être pas présent, pas à la hauteur etc…
C’est pourquoi la phase du marchandage est la plus délicate à traverser lors d’un deuil à distance.
Dans une démarche de pleine conscience, il est positif d’accueillir ces pensées négatives sans les juger. Et tel un observateur extérieur, de les laisser nous traverser, puis de les laisser partir. Ne surtout pas les ressasser car la rumination n’a aucun intérêt ni bénéfice pour soi.
Aidé par de grandes respirations, des soupirs ou des pleurs (car les larmes font beaucoup de bien), il est alors possible de lâcher ces pensées négatives et de les remplacer dans une dynamique d’auto-compassion par un discours plus doux et gentil envers soi, connecté aux limitations de sa condition humaine.
Cette sollicitude bienveillante, teintée de compassion pour l’épreuve traversée, va permettre de ne pas se surcharger du poids de la culpabilité
Il est possible d’utiliser sa voix intérieure comme si on s’adressait à son ou sa meilleure amie : « Tu fais ce que tu peux. Oh c’est dur ce que tu dois traverser… C’est tellement triste, tu ne dois pas être le ou la seule : d’autres humains vivent sans-doute un drame intime similaire ».
Ces paroles compréhensives envers soi apaisent le vécu douloureux de l’absence dans l’absence. Elles permettent de ne pas rajouter de la douleur à toute cette tristesse…
Mouvement vers les autres
Pour aider le mental et le nourrir, il y a aussi les gestes tournés vers les autres, vers l’extérieur.
Être capable de parler de ce qui se passe, le plus clairement et simplement possible, avec ses très proches, conjoint, enfants, amis…
Aborder avec authenticité et sincérité :
- le factuel (ce qui n’est tout simplement pas possible dans ces circonstances, ce à quoi il faut renoncer),
- mais aussi l’émotionnel (co-existe en soi divers ressentis, de la sidération, de la tristesse, du manque, de la désolation, de la souffrance…).
Dans une posture de proactivité, proposer toute sorte d’initiative dans le rayon de ses possibilités, pour témoigner de son attachement à la personne.
Cela permet de réparer la passivité ressentie dû à l’éloignement géographique auquel se rajoute, en ces moments de crise mondiale sanitaire, la non autorisation de rejoindre famille et amis.
- Il peut être possible de faire une démarche nécessaire en ligne, à distance, pour aider et soulager ceux qui sont sur place ?
- Mais aussi leur écrire, leur parler au cours de moments réguliers par vidéo, témoigner son affection, son intérêt pour la personne, les sécuriser sur le lien affectif malgré l’éloignement.
- Chez soi, offrir un mini espace symbolique dédié à la mémoire de l’être aimé, avec moments de recueillement, d’unions, de messages d’adieu et de témoignages d’affection (y accrocher, les photos, dessins, mots, prières des uns et des autres, allumer des bougies). Il peut s’avérer être un lieu chaleureux, structurant et réconfortant pour les enfants, autour d’un décès parfois difficilement représentable pour eux.
- Également, plus tard, planifier une commémoration lorsque cela sera possible, même si la date est incertaine.C’est la projection dans le futur d’un événement à venir qui est important. L’organisation à plusieurs d’une réunion pour célébrer la vie du mort, mettre en avant divers aspects de son parcours de vie avec chansons, discours, poèmes, photos, montages vidéo, porte l’élan de la vie.
Honorer ainsi la personnalité et les réalisations du disparu permet d’avancer vers le ressenti si apaisant de gratitude d’avoir connu cette personne.
Alors sa relation avec elle se poursuit dans son monde intime, dans un dialogue interne et qui s’autorise à être authentique et ambivalent puisque telle est notre nature humaine. Il y aura suivant les moments, un versant critique pour certains aspects de sa personnalité, de sa vie ou de ses choix, car aucune trajectoire de vie n’est parfaite, et un versant reconnaissant pour tout ce qu’elle a apporté et ce qu’elle a été.
Lorsque ce dialogue en soi est vivant, nourrit de la joie d’avoir connu l’autre, alors c’est bien la vie qui continue…
Psychologue, elle accompagne en vidéoconsultation des enfants et adultes expatriés. En savoir plus sur www.expatfamille.com Co-auteure avec Gaëlle Goutain de deux guides pratiques sur la vie expatriée :
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Bibliographie :
- Marie-Frédérique Bacqué, Le deuil à vivre, Odile Jacob, 1992.
- Marie de Hennezel, Nous ne nous sommes pas dit au-revoir, Robert Laffont, 2000
- Elizabeth Kübler Ross, David Kessler, Sur le chagrin et le deuil, Essai Poche, 2011.
- Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, Albin Michel, 2012.
- Episode n17 de Novembre 2017 du podcast ExpatHeroes sur le deuil en expatriation
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