Le coronavirus vu d’Allemagne : « chaque culture réagit différemment et il faut s’adapter »

Alles wird gut sur la grille de l'écoleInstallée en famille depuis deux ans à Mainz, Estelle avait trouvé ses repères dans la vie courante allemande. Mais dans ce contexte anxiogène, chaque culture réagit différemment et les cartes des comportements sociaux sont rebattues. 

Pas toujours facile de s’adapter aux contraintes de cette nouvelle vie avec le coronavirus. Surtout quand nos réactions « d’étrangers » diffèrent de celles des autochtones.

A l’heure où Estelle rédige ces lignes, la voilà qui entame sa cinquième semaine de confinement en Allemagne. Une nouvelle semaine qui rime aussi avec vacances de Pâques.

Ça y est, c’est les vacances !

Nos filles sont ravies. En revanche, moi, je saute au plafond !

Finie la pédagogie familiale éreintante et la lecture des mails des profs bien longs en allemand. Les manuels ont quitté les espaces communs et pour réintégrer les chambres de leurs propriétaires. Les ronflements de l’ordinateur familial et de l’imprimante se sont tus.

Plus besoin d’expliquer dix fois par jour qu’une pause se doit d’être plus courte que le temps de travail qu’elle interrompt. Et que décider de démarrer la journée à 8 heures, c’est honorable mais surtout quand on le fait. Les arbres-droits vont prendre l’air (au moins dans le jardin).

C’est les vacances, mon mari va continuer de travailler dans son bureau improvisé (la chambre de notre aîné qui étudie en France). Chaque matin s’ouvre sur le jour sans fin.

C’est les vacances. Je vais enfin pouvoir travailler pour moi.

On a d’abord tous improvisé pour s’adapter au confinement

En Allemagne, pays fédéral, chaque Land a pris sa décision.

En Rhénanie-Palatinat (Rheinland-Pfalz) à compter du 16 mars, il a d’emblée été instauré pour six semaines : quatre semaines d’école et deux de vacances. Nous avons été interloqués, comme ailleurs, et puis tout le monde s’y est fait. On a tous improvisé.

Les enseignants se sont organisés en temps réel et ont envoyé beaucoup d’instructions et de documents à imprimer. Le papier rassure. L’Allemagne n’est pas un pays très connecté.

Notre cadette est en 7ème classe (la 5ème en France). Elle a fini par organiser ses devoirs reçus pour les différentes matières par des canaux divers (application, mail, sites web). Tout a été à peu près envoyé à l’échéance prévue. Le livre à lire pour hier, faute d’avoir été choisi à temps, le sera pendant les vacances.

Notre benjamine en 4ème classe (CM1) est en dernière année d’école primaire. Elle a reçu de sa maîtresse un planning de travail hebdomadaire avec les corrections (ouf !). Des exercices de gym adaptés à un petit espace. Des trésors minuscules dans la boite aux lettres : une pincée de graines de cresson à planter dans une coquille d’œuf vide (cours d’art plastique), le livre à lire pour le cours d’allemand (Superbruno), une carte de Pâques avec une sucette en chocolat.

Hier, avec sa classe, elle a participé à sa première webconférence. À la rentrée prochaine , ils entreront au collège (qui commence ici au CM2). Le vendredi 13 mars aurait pu être leur dernier jour à l’école primaire. C’est une grosse affaire, puisque les enfants restent dans la même classe avec le même enseignant pendant 4 ans.

Les dernières annonces de déconfinement d’Angela Merkel leur laissent l’espoir de se retrouver

Les classes de fin de cycle devraient reprendre dans certaines conditions le 4 mai. Sa sœur, elle, restera donc pour une durée indéterminée à la maison.

Les Allemands renoncent d’emblée à ce qui est interdit

Ici, et c’est ce qui nous permet de tenir pour l’instant, nous avons encore un peu le droit de sortir…

Les enfants font donc chaque jour du vélo ou du patin à roulettes dans le quartier, comme les petits voisins. Mais ils ne jouent pas ensemble et ne retrouvent pas leurs copains. La promenade hygiénique est encouragée, par groupe de deux maximum et à distance des autres. Mais la plupart des buts de balade sont fermés. Nous avons pu récemment nous offrir une parenthèse nature le long du Rhin. Un café sur les rives proposait, à un client à la fois, de boissons à emporter.

En référence au confinement français strict et à l’autorisation de sortie indispensable, une amie allemande me faisait la réflexion : « C’est vraiment sévère en France, ici ils n’oseraient jamais nous contraindre autant !». (Heu je l’espère vraiment, car je n’ai pas envie d’être confrontée au zèle de la police allemande).

Cela ne me semble pas nécessaire.

Alors que pour les Français, le règlement reste souvent indicatif (et j’en parle en connaissance de cause, je privilégie volontiers l’esprit à la lettre), les Allemands renoncent d’emblée à ce qui est interdit. Les aires de jeux, derrière un simple ruban rouge et blanc, restent vides.

Dans un contexte anxiogène, les cartes des comportements sociaux ont été rebattues

En cette période de crise sanitaire, comme dans la vie « d’avant », nous avons tous une approche culturellement différente aux nouvelles contraintes.

Depuis bientôt deux ans que nous vivons à Mainz, nous les avions trouvés nos repères dans la vie courante. En particulier les codes des courses puisque c’est aujourd’hui notre seule activité presque sociale : bien stocker le samedi car le dimanche sinon c’est régime. Pas ou peu de livraison à domicile, il faut aussi prévoir des sacs en tissu et des liasses de liquide.

Il nous faut aujourd’hui en trouver de nouveaux. Dans un contexte anxiogène, les cartes des comportements sociaux ont été rebattues. Nous sommes à nouveau perdus.

Doublement : car si la situation est étrange pour tous, nous sommes entourés de citoyens qui ne réagissent pas comme nous. On se sent empruntés et agressés. Et on a beau y mettre du nôtre, comme le changement se poursuit, ce qui était vrai la semaine dernière ne l’est plus forcément aujourd’hui.

Que les Allemands anticipent leurs achats, on le savait. D’ailleurs, on tenait le rayon des chocolats de Pâques à l’œil depuis février (avant même Fastnacht, le grand carnaval de Mainz). En revanche, nous avons été très surpris par les premières étagères vides.

C’était quatre semaines avant le début du confinement. La folie de carnaval venait tout juste de s’achever. La bière avait-elle entrainé dans ses flots la farine, le papier toilette et les pâtes ? (dur contraste ce passage sans transition de carnaval à la distanciation sociale).

Maintenant nous avons appris qu’il existe un mot pour cela dans la langue allemande : Hamsterkauf (littéralement l’achat de hamster). Des affiches 4x3m dans les rues et plus petites dans les pharmacies rappellent les nouvelles règles de vie.

Keine Panik, nicht hamstern (ne pas paniquer, ne pas faire le hamster).

On s’est adapté comme on a pu

Nos stocks de denrées françaises (comme les sardines en boite presque introuvables ici, la crème de marron, ou les produits d’hygiène corporelle et domestique importés par confort olfactif) ont pris – en tous cas à nos yeux – une valeur inestimable.

Côté hamster, on a tenté de résister et on s’est un peu fait embarquer. Nous tâchons d’être respectueux des autres et parfois nous commettons, en toute bonne foi, des bévues culturelles.

Nous nous sommes fait reprendre plusieurs fois en faisant nos courses (parce qu’on était deux par exemple et que si les magasins l’autorisaient, les autres clients ne se privaient pas de vouloir refaire notre éducation et défaire notre moral). J’ai donc renoncé au supermarché. C’est mon Britannique de mari qui s’y colle. Les réflexions cinglantes des autres le touchent moins que moi.

Maintenant que nous avons retrouvé (un peu) nos esprits, nous privilégions le marché. Celui de notre quartier, petit et familial reste toujours ouvert. Les stands sont redéployés sur trois axes plutôt qu’un. Les queues bien espacées serpentent sans se frôler. Nous y faisons provision de produits frais, de fleurs et de sourires. Les commerçants, très sympas, nous reconnaissent (enfin) et ça fait du bien. Ils sont nos seuls contacts extérieurs réels.

Ce matin nous y avons croisé de nombreux visages habillés de masques en tissus faits maison. La collection printemps-été est sortie. Après les filtres à café scotchés sur les joues, les Mayençais sont passés dans la catégorie semi-pro.

Mon mari et moi sommes encore dans la tribu des naturistes du museau. Mais inspirés par des cousins français (déjà équipés aux dépens du linge de maison), nous avions décidé de nous y mettre. La machine à coudre est prête.

Il semblerait que partout l’adaptation franchisse les mêmes étapes

Nous suivons un parcours parallèle d’apprivoisement de la crise et de la peur, de nos besoins de contrôle face à un ennemi invisible.

Le pic des blagues-soupapes est passé : place à la couture de masques et aux casse-têtes.

Au traçage de ces semaines particulières pour l’Histoire. Nous avons reçu le même jour des conseils anglais pour consigner notre confinement et des instructions allemandes pour journaux de quarantaine pour enfants (en vue d’une exposition). Même privé de sortie et isolé, l’être humain reste un animal (de réseau) social.

Comme tout le monde nous avons passé les fêtes de Pâques seuls à la maison. Seuls, mais à quatre et ça c’est déjà chouette. Avec notre reste de farine, mon mari a pétri des hot cross buns épicés, tradition pascale anglaise. Et le lapin de Pâques (der Osterhase) a caché des œufs dans notre jardin (en chocolat, ouf, pas des œufs durs colorés comme ça se fait beaucoup ici).

C’est ça peut-être le plus dur dans cette crise sanitaire internationale : la fermeture des frontières.

Mon étudiant de fils se confine à Lyon chez des amis et avec ses bouquins. Il révise pour des concours-mirages qui auraient dû commencer mi-avril. Bien sûr aujourd’hui chaque foyer navigue seul dans la tempête sur son radeau.

Même avec les voisins nous devons nous téléphoner (qui veut jouer au bac belge ?). Néanmoins, se savoir coupé des siens par autre chose que des kilomètres et du temps de transport, ça amplifie l’inquiétude latente.

Quand allons-nous nous revoir ? Et dans quelles conditions ?

Alors dimanche avec notre fils, nous nous sommes appelés par écran interposé. Le soleil était de sortie (lui au moins). Pour tout le monde à Mainz, c’était Pâques au balcon (ou à la fenêtre). Les filles ont monté la tente dans notre jardin de poche pour quelques nuits d’évasion. Nous avons salué nos voisins de loin en mangeant nos chocolats.

Et nous leur avons offert des hot cross buns, à la nouvelle mode : en les posant devant leur porte et en partant en courant.

Comme quand j’étais petite et qu’on allait sonner chez les voisins pour s’amuser.

Estelle Hugonnet

Française expatriée en Allemagne à Mainz depuis bientôt deux ans, pour le travail de son mari anglais. Elle a trois enfants, deux en Allemagne, et un étudiant en France.

Passionnée de rencontres et de nature, de livres et de sculpture en terre ; elle adore aussi écrire et partager, elle publie ses émotions et réflexions sur son site https://mainzalors.com/

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