« Je crois énormément à la sororité » – Rencontre avec Laurence Haguenauer, Directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE)

Laurence Haguenauer

Lutte contre les violences, sororité, égalité hommes-femmes, mentorat, opportunités professionnelles à l’étranger : si vous pensiez la diplomatie française timide et peu engagée en matière d’égalité hommes-femmes, lisez plutôt cette interview de Laurence Haguenauer.

Laurence Haguenauer, tout d’abord merci de nous accorder quelques minutes de votre temps précieux. Pourriez-vous nous présenter votre travail ?

Diplomate de carrière, je suis à la tête de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire depuis septembre 2019. Juste avant, j’étais Consule Générale au Québec et avant encore, directrice adjointe à la DFAE également. Cela fait donc 10 ans que je suis les dossiers consulaires qui sont très vastes et qui reposent sur les femmes et les hommes qui les traitent. Nous sommes ainsi la plus grosse direction du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Nous sommes plus de 500 personnes en France et 2600 à l’étranger aujourd’hui avec plus précisément 200 postes consulaires à l’étranger, qui traitent des dossiers avec des publics très différents.

Nos lectrices connaissent assez bien les missions classiques des consulats : titres d’identité, état civil, élections. Mais ce n’est qu’une partie visible de vos nombreuses actions…

Oui, il y a par exemple l’action sociale. Nous sommes le pays au monde qui faisons le plus pour nos ressortissants, avec notamment la délivrance des bourses scolaires pour les enfants français dans les établissements scolaires français à l’étranger, des allocation en fonction des revenus, les soutiens aux associations aidant les Français en difficulté. On traite aussi de sujets comme le recouvrement des créances alimentaires, puisque la DFAE est autorité centrale sur ce dossier là… La protection consulaire est la base de notre mission. Mais notre direction travaille également sur d’autres sujets, comme l’adoption internationale, le service central d’état civil. Difficile de tout citer, mais nous pouvons dire que nous sommes un service à la fois d’administration et de politique, avec des sujets humains très sensibles et le service public du Ministère. Nous sommes enfin une instance de modernisation : n’oublions pas, par exemple, que les Français de l’étranger sont les seuls à pouvoir voter électroniquement pour des élections politiques françaises !

Vous parliez de la protection consulaire comme mission de base. Est-ce que la prise en charge des violences conjugales à l’étranger des victimes françaises en fait partie ?

Comme en France, on a vu, à l’étranger, une augmentation des signalements depuis le confinement. Ce sont des dossiers lourds et divers, comme des viols, des mariages forcés, des violences physiques ou morales avec des déplacements illicites d’enfants. Ces dossiers sont particulièrement sensibles pour nos collègues. Cela ne s’improvise pas de répondre à des victimes. C’est pourquoi nous avons travaillé avec les autorités qui, en France, ont l’habitude de ces sujets, pour former nos agents et leur donner les moyens, les outils et les documents, pour faciliter cette prise en charge.

Que fait un consulat concrètement sur ces sujets ?

Tout d’abord, il écoute et accueille la personne. Ensuite, nos collègues, selon les pays et les situations, aiguillent les victimes vers le milieu associatif local. Le consulat va évaluer la situation, mais ce n’est pas un spécialiste. Nos collègues ont été formés à cette prise en charge, on leur a fourni des outils et des réflexes à avoir. Et, au moindre doute, ils savent qu’ils peuvent se tourner vers notre direction à Paris. Porter plainte, quand cela est possible, est la première chose que nous conseillons. Les violences touchent tout le monde, quel que soit le milieu, les catégories socio professionnelles. Il est important de dire que le consulat est ouvert à toutes les Françaises et à tous les Français, y compris celles et ceux qui sont à l’étranger depuis toujours.

👉Lire aussi : Le dispositif Save You pour les victimes de violences conjugales et intra-familiales

On peut donc dire que dans ce domaine, la diplomatie consulaire est féministe ?

Oui, et il y a par exemple un autre sujet que je voudrais aborder, c’est la question des mariages, et plus précisément le mariage des mineurs hors de France. Nous travaillons actuellement avec le ministère de la Justice sur une modification du Code Civil pour préciser que l’interdiction, pour une personne française de se marier avec un mineur ou une mineure s’applique également pour les mineures non françaises. En effet aujourd’hui, un Français (ce sont essentiellement des hommes) peut se marier avec une mineure étrangère hors de France et faire reconnaître ce mariage en France, ce qui est contraire aux valeurs républicaines et au cœur de la grande cause nationale des deux quinquennats du Président de la République.

Laurence Haguenauer, quel regard portez-vous sur la parité hommes femmes au sein de la Diplomatie française ?

Nous avons l’immense chance d’avoir eu la création, il y a plus de 10 ans, au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, de la première association professionnelle pour promouvoir les droits et la place des femmes : Femmes et Diplomatie. C’est grâce à cette association que des modifications importantes ont été établies au sein du ministère, avec notamment une charte du temps, pour qu’un plus grand respect de l’équilibre entre vie privée et professionnelle puisse être respecté. Pour moi, c’est un exemple très concret d’un sujet qui a été pris en main par des femmes et dont les progrès bénéficient à tous, hommes et femmes, aujourd’hui.

Des progrès sont donc en cours ?

En termes de carrière, beaucoup de progrès ont été faits. Au départ je n’étais pas favorable personnellement  à la mise en place de quotas, mais je suis convaincue après coup que cela a été indispensable. Pour la fonction publique, la Loi Sauvadet impose aux ministères un taux de primo-nomination de 40% minimum de personnes de chaque sexe sur les emplois d’encadrement supérieur.

Il reste de gros efforts à faire. Mais attention, je ne crois pas non plus à une forme de promotion facilitée des femmes uniquement en raison de leur genre. Il n’y a rien de pire pour la cause des femmes que de promouvoir des femmes seulement parce qu’elles sont des femmes. Cela dessert la cause. L’égalité de traitement est la clé.

Oui mais on sait que pour des carrières internationales, ce sont souvent les femmes qui sont frileuses à l’idée de partir. Comment lutter contre cette auto-censure ?

Ce phénomène d’auto-censure est en effet très présent aujourd’hui. Quand un poste de consul général est ouvert par exemple, je vais chercher des collègues pour qu’elles postulent. Jamais un homme ne m’a répondu « Ah bon mais tu penses que je serai à la hauteur ? ». En revanche, beaucoup de femmes me répondent cela.

Aux côtés de la DRH du Ministère, j’y travaille activement. Comment ? Je fais des actions de mentorat auprès des femmes et plus particulièrement auprès des jeunes femmes de ma direction. Mon discours est de toujours dire que les femmes peuvent arriver à tout. Oui, il y a nécessité de formation, pour se connaître soi-même, pour mettre en valeur ses compétences. Je donne moi-même beaucoup de temps pour des formations, des entraînements d’oraux blancs, pour aider mes collègues à se mettre en valeur. C’est comme cela que j’agis concrètement en apportant une petite pierre à l’édifice. J’aide les femmes, pour les aider à sortir de cette auto censure et de cette dévalorisation de soi.

On peut dire que vos équipes ont de la chance de vous avoir comme manager !

Je crois énormément à la sororité. C’est quelque chose qui n’est pas encore assez répandu en France mais qui est très présent par exemple en Amérique du Nord, où j’ai vécu. On ne peut pas y arriver si on ne s’aide pas entre femmes. La sororité est la base de l’émancipation professionnelle des femmes.

J’ai la chance d’être à une position qui me permet de porter cette parole, qui me permet d’aider les autres femmes et je prends toujours du temps pour cela. C’est notre rôle de manager, femme, d’aider les femmes sur ce chemin.

Et concrètement, en chiffres, cela donne quoi ?

L’objectif est l’égalité : 50 % de nomination de consuls généraux. Au global, nous n’y sommes pas. Mais localement, on s’en approche. Par exemple aux USA. Sur 10 consuls généraux, à mon arrivée en 2019, il n’y avait pas de femmes. Elles sont 4 à présent, peut être 5 cet été. On y arrive !

Laurence Haguenauer, après tous ces messages forts, que souhaiteriez-vous dire à nos lectrices ?

Pendant longtemps, les femmes en expatriation, on pensait que c’étaient les « femmes de ». Aujourd’hui une expatriation est à l’initiative d’une femme ou d’un homme et nous sommes entourés d’exemples de femmes qui ont, à l’étranger, une activité qui apporte quelque chose à la communauté des Français de l’étranger et donc à la France. Je dirais que l’expatriation donne des opportunités formidables. Aux hommes, comme aux femmes. Mais à une condition : préparer son départ.

Enfin, et je le vois au quotidien, ces opportunités, les femmes les saisissent tous les jours. Je le vois dans nos consulats, à travers les actions associatives, les initiatives économiques. Je vois des porteuses de projets entrepreneuriaux, des enseignantes, des élues… et nous en sommes fiers !

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