Le français à la maison : faut-il apprendre le jargon grammatical ?

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Le français contient tout un vocabulaire grammatical : le complément circonstanciel de temps, la proposition relative, le complément d’agent… Est-il vraiment nécessaire à l’apprentissage du français ? Faut-il apprendre tout ce jargon grammatical à nos enfants ?

Le nez dans le cahier d’exercice de son enfant, une mère s’arrache les cheveux. « Entourez le complément d’agent ». Oups, qu’est-ce que cela signifie exactement déjà ? L’enfant attend des explications. Elle jette un coup d’œil discret sur un moteur de recherche. Ah oui ! Les exemples sont clairs ! Elle s’apprête à expliquer le concept.

Mais un doute l’assaille : faut-il vraiment faire apprendre tous ces termes grammaticaux à son petit expat ? Il fait déjà des phrases très correctes et utilise le français intuitivement. Ces termes ne vont-ils pas l’embrouiller ? En quoi mettre des mots sur les mots peut-il lui être utile ?

Des approches de la langue différentes

Les approches de l’apprentissage d’une langue sont diverses.

  • Certaines utilisent des méthodes qui expliquent par le menu toute la grammaire en commençant par le jargon de cette discipline (ce qu’on appelle le « métalangage »).
  • D’autres préfèrent utiliser des méthodes plus douces en mettant de côté ce qui leur semble un peu trop rigide et contraignant.

Certaines méthodes se fondent surtout sur des exemples pour amener l’enfant à trouver par lui-même la règle. On peut en effet se poser la question : savoir ce qu’est un adverbe est-il vraiment utile pour maîtriser le français ?

La réponse ? Ça dépend ! Tout d’abord de l’enfant lui-même et de son approche quant aux apprentissages. Ensuite de la manière dont tout cela est enseigné.

Une méthode parfois rébarbative

Certains manuels pour le primaire peuvent parfois rebuter nos enfants. En effet, tout y est précautionneusement découpé pour que chaque concept soit compris. Mais à trop distinguer les choses, ne gênons-nous pas les enfants dans leur compréhension des liens d’ensemble ? (1)

Par ailleurs le jargon utilisé pour définir tous ces liens devient rapidement technique (quelle est la différence entre un déterminant et un article ? Et je ne vous parlerai pas du « prédicat » (2), enseigné pendant un certain temps, mais heureusement mis de côté depuis quelques années).

Cette approche très parcellaire est très compréhensible : on travaille bien sûr par étape, une chose après l’autre. Et pour certains, cela marche très bien. Mais pour d’autres, il manque une approche plus instinctive, qui permet d’assimiler plus globalement les concepts.

Bien sûr, selon le niveau de notre enfant, les termes sont plus ou moins complexes. On étudiera la phrase simple (sujet – verbe – complément) avant de passer à des phrases plus alambiquées. On fera petit à petit le tour des classes grammaticales (la nature des mots) et des fonctions grammaticales (le rôle qu’ils jouent dans la phrase).

Mais, par exemple, pour un enfant expatrié qui commence un parcours en français au collège, sans avoir eu de notions de tout cela auparavant, l’étape peut être difficile à passer. Et certains enfants montrent plus de réticences devant ces notions très abstraites. Surtout s’ils n’en apprennent pas l’équivalent à l’école, dans la langue dans laquelle ils sont scolarisés.

On en vient vite à  :

« Mais Maman, je n’y comprends rien; et puis de toute façon, ça ne sert à rien tous tes trucs ! »

Pourquoi tout ce jargon grammatical ?

J’aime imaginer la langue française comme un réseau complexe : tout est lié à tout.

  • Le verbe est lié au sujet et se conjugue selon lui.
  • L’adjectif donne une information supplémentaire au nom qu’il qualifie et de ce fait prend la marque du genre et du nombre de ce nom.
  • Le déterminant est aussi en lien avec le nom.

Bref tout est lié d’une manière ou d’une autre. Chaque lien impose des « lois » particulières. Un verbe conjugué à la troisième personne du pluriel va appeler le « -ent » alors qu’un nom au pluriel appelle plutôt un « -s ». Un verbe n’est pas (ou peu) concerné par le genre alors qu’un adjectif, si !

Le fait de comprendre les natures des mots et leurs fonctions dans une phrase peut faciliter la compréhension générale de la langue, d’en comprendre les mécanismes et donc permettre à l’enfant de mieux acquérir des réflexes. (Comme par exemple, le fait d’arriver à mettre systématiquement un « s » aux noms au pluriel dès qu’il repère que le déterminant est « les » ou « des » ou encore « ces »…).

La métalangue permet de prendre du recul par rapport à la langue, de l’analyser et génère une autre posture de l’apprenant : celle d’un scientifique ! En posant des mots sur ces principes, certains enfants sont rassurés.

Par ailleurs, pour les expatriés qui envisagent un retour, ces termes sont à connaître obligatoirement : au brevet par exemple, il y a très souvent des questions de grammaire. (3) Et, pour le brevet comme pour le bac de français, savoir analyser un texte en utilisant les bons termes permet bien sûr de gagner des points ! COD, COI et COS, CCT et CCL sont donc des compagnons inévitables pour les petits Français de France. (4)

Une approche utile mais pas exclusive !

Pourtant, nos enfants expats, souvent baignés à la maison par un français oral, en savent beaucoup plus qu’ils ne le pensent eux-mêmes. La preuve ? Ils utilisent le subjonctif sans même le savoir :

« Maman, il faut que tu viennes voir ! ».

On peut très bien utiliser le théorème de Pythagore sans en connaître la démonstration, n’est-ce pas ?

Il y a donc une part d’usage dans la langue qui fait que des personnes qui savent bien écouter pourront facilement reproduire un français correct. A l’inverse, ce n’est pas parce que notre enfant maîtrise parfaitement le vocabulaire grammatical, qu’il comprend tout ce que cela implique et qu’il peut appliquer les règles de grammaire. Ce n’est pas non plus parce qu’il sait ce qu’est un complément d’objet direct, qu’il va écrire une rédaction intéressante.

La langue ne se limite pas à une liste de rouages et de pièces à comprendre pour pouvoir en faire un mécanisme complet.

Une particularité française ?

En discutant avec des amis étrangers, je me suis rendu compte que cette approche de la langue par la grammaire et les termes grammaticaux était très française. Dans d’autres pays, l’accent est mis sur la pratique, sur la compréhension de texte oral ou écrit. Le métalangage est peu voire pas utilisé. Pour autant, les enfants savent lire, écrire, analyser un texte et se débrouiller dans la vie.

Les directives récentes de l’Education Nationale tendent d’ailleurs à pousser vers plus de pratiques et moins de leçons.

Alors nos enfants qui ont d’autres atouts, doivent-ils partager cette culture commune, intéressante mais pas forcément opérationnelle ? Parmi tous nos combats, celui-ci doit-il être prioritaire ?

Et nous, parents, dans tout ça ?

Vous rappelez-vous ce qu’est un adverbe ? Pourriez-vous donner la différence entre un adjectif épithète et un adjectif attribut ? Même si vous répondez oui, admettons-le : ces connaissances ne nous servent plus depuis longtemps.  Cela ne nous empêche (heureusement !) pas de continuer d’écrire des textes tous les jours pour notre travail. Difficile alors de trouver une explication pour que notre enfant apprenne par cœur ces termes…

Par ailleurs, si certains de nos enfants sont très réceptifs à ces mots nouveaux pour eux, pour d’autres, c’est tout simplement du chinois. L’art d’enseigner est aussi l’art de trouver ce qui éveillera chez l’enfant l’intérêt réel pour la matière ainsi que de trouver la meilleure approche, celle qui lui correspond le mieux pour acquérir des connaissances et les assimiler pour les pratiquer.

Alors, concluons. Devons-nous apprendre tous ces termes à nos enfants ? Pour suivre le cursus français, oui sûrement, car c’est inscrit dans le programme de l’Éducation Nationale. Mais pas seulement : comment expliquer des règles tel que l’accord du participe passé si l’enfant ne sait pas ce qu’est un COD ? Une base me semble nécessaire. Si l’usage de mots compliqués rend moins attractif le français aux yeux de nos enfants, osons laisser de côté ces termes savants et trouver un autre moyen pour l’aborder. Car n’oublions notre objectif final : leur faire aimer notre belle langue.

Catherine Allibert, exploratrice de la langue française

 Pour aller plus loin sur le sujet du français, écoutez en podcast l’épisode : « Les 5 principaux pièges du français » 

Catherine ALibert

Catherine propose des activités ludiques et créatives autour de l’apprentissage du français, tout en améliorant la relation parents-enfants.

Son site : https://www.unehistoiredeninjasetdesamourais.com

Elle anime aussi les groupes Facebook : Français à la maison : partage soutien et conseils  et Une histoire de ninjas et de samourais

Retrouvez-la également dans ces podcasts : « Le français comme j’aime » 

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(1) Dans son livre « Grammaticus : Pas de panique chez les indics » Anne-Marie Gaignard, une ancienne dysorthographique, a mis en histoire la fameuse règle de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir suivant la place du COD dans la phrase. Cette approche originale peut peut-être parler à votre enfant plus qu’une approche plus « académique ». D’autres livres du même auteur aborde d’autres points de la langue française.

(2) Découvrez « la guerre du prédicat » ou comment a été reçu cette modification de la grammaire par le corps enseignant.

(3) Découvrez par exemple dans le brevet de 2019, les questions du type : « Remplacez les deux groupes soulignés par deux propositions subordonnées conjonctives compléments circonstanciels de temps. » 

(4) COD, COI et COS, CCT et CCL : respectivement Complément d’Objet Direct, Complément d’Objet Indirect, Complément d’Objet Second et Complément Circonstanciel de Temps et  Complément Circonstanciel de Lieu. Mais nous vous avons épargné la conjonction subordonnée relative et  le pronom relatif !

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