Santé mentale des adolescents : ça craque

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La santé mentale des adolescents est un sujet difficile à traiter, mais que nous ne pouvons occulter, tellement il est rentré dans notre quotidien de parents, en France ou à l’étranger. La santé mentale des adolescents préoccupe. Et vivre à l’étranger ne change malheureusement pas les choses. Mais en parler, essayer de comprendre, de décrypter, en s’entourant de spécialistes, peut, nous en sommes convaincus, permettre de casser cette spirale.

Quelles sont les raisons de ce mal-être ? Qu’est-il arrivé pour que nous en arrivions là ? Comment aider nos adolescents ? Magdalena Zilveti-Manasson est psychologue et exerce dans le New Jersey. Nous lui avons posé nos questions.

Magdalena, vous confirmez que les ados ne vont pas très bien ?

Nous sommes tous en train de vivre une période véritablement spéciale, avec des changements sociétaux qui ne peuvent pas nous laisser indifférents. Nos enfants vivent ces bouleversements comme nous, mais moins préparés. Oui, je confirme, les ados ne vont pas très bien. Beaucoup sont anxieux et ressentent surtout un sentiment d’insécurité énorme face au monde qui les entoure. Je les trouve perdus, et parfois vraiment en détresse.

Du point de vue neuropsychiatrique, pourriez-vous nous rappeler pourquoi l’adolescence est une période particulièrement sensible pour le développement du cerveau ?

Le cerveau termine sa construction autour de 25 ans (quoique cela ne s’arrête pas brusquement à cet âge-là et continue plus lentement encore un peu après). Avant cela, et surtout à la période adolescente, les structures préfrontales, impliquées dans le contrôle des émotions, dans les capacités de raisonnement et de réflexion, sont en plein développement. C’est justement à l’adolescence que se développent le sens de l’analyse, une cognition beaucoup plus abstraite et plus fine, l’esprit critique. Ce n’est pas rien ! C’est un moment fragile et délicat pour le cerveau.

On a vu dernièrement des chiffres qui mettent en relation démocratisation des smartphones et hausse du mal-être adolescent. Que se passe-t-il en 2011-2012 ?

Pour voir ces graphiques sur le site du FT ou encore ici

Ces derniers chiffres sont vraiment intéressants, car on a parlé dernièrement des effets du Covid sur la santé mentale des ados, mais la pandémie n’a en réalité qu’empiré la situation en justifiant de manière globalisée et à tous les niveaux, l’utilisation des ordinateurs et d’une connexion virtuelle.

Ces graphiques montrent que depuis 2011 – soit l’année de la démocratisation des smartphones et de l’essor des réseaux sociaux – les problèmes de santé mentale explosent. Et effectivement, 2011-2012, ce sont les années où les écrans, qui étaient déjà présents dans notre vie, ont simplement pris le chemin de notre poche. Avec le flux permanent offert par la 4G, l’écran devient alors continu. Il n’y a pas de fin, plus de repos.

Mais ce n’est pas tout : notre smartphone nous implique dans notre vie : on réagit et on attend une réaction.

Oui, mais pourquoi les écrans sont-ils si mauvais pour les adolescents ?

Justement parce que les écrans arrivent dans la vie de nos enfants à un moment-clé de leur développement. Il y a trois conséquences à la sur-exposition des écrans :

  • La dérégulation du cerveau. Les jeux vidéo, les réseaux sociaux vont créer une hyper stimulation du cerveau. Et quelle stimulation ! Des likes, du plaisir, du positif. Que se passe-t-il ? L’activation du circuit de la récompense se met en marche et aboutit à la libération finale de dopamine, l’hormone du plaisir immédiat, le messager chimique du plaisir. Du super bon boost pour le cerveau. Qu’y a-t-il de mal à cela ? Pas grand-chose, c’est finalement le même plaisir que quand on finit un bon livre ? Eh bien non, parce que le boost apporté par les jeux vidéo et les réseaux sociaux est en fait super intensifié. Ces petites récompenses deviennent alors quasi permanentes, et créent alors une dépendance. Ces stimulations chimiques nombreuses dans le cerveau des jeunes ne sont en fait pas toujours supportables. Ce que les parents doivent comprendre, c’est l’intensité du plaisir causé par ces loisirs numériques : proposer de s’arrêter pour lire un bon polar ne compensera jamais ce boost. A ce jour, nous n’avons pas encore trop de recul sur les conséquences de ces dérégulations, mais les premières données indiquent que cette hyperstimulation crée des risques de dépendance, certes pour la tech, mais également des addictions comportementales : dating, achats compulsifs, jeux d’argent.
  • Un excès de stimulation visuelle. Avec les écrans, le visuel est surstimulé par rapport aux autres sens. Conséquence : la partie du cerveau dédiée à l’imagination se trouve atrophiée. Cela a donc un impact réel sur notre capacité à créer nous-mêmes des histoires, à trouver des solutions ailleurs.
  • L’externalisation de nos aptitudes mentales. En s’appuyant sur l’ordinateur (et l’IA avec Chat GPT, par exemple), on utilise moins notre cerveau. Ce qui peut avoir un impact sur le développement de notre orthographe et notre vocabulaire bien sûr, mais aussi nos pensées…

C’est mal pour les capacités cognitives de nos ados, mais pourquoi ce lien avec le moral et la santé mentale ?

Il y a d’abord le risque de perte de self control et de réactions impulsives. Le FOMO – fear of missing out – rentre dans la vie de nos jeunes comme d’autres addictions. « Si je ne suis pas en permanence sur mon téléphone, je risque de rater des trucs. Il faut que je sois là tout de suite maintenant, constamment disponible. »

Ensuite, il y a la gestion de la frustration. Cette dopamine, ce boost apporté par les technologies sont si rapides et impulsives que les jeunes n’ont plus que cette habitude-là. L’attente devient insupportable, le stress de ne pas être là et de rater quelque chose est grand. L’adolescent ne sait pas prendre du recul, temporiser. La moindre déception peut vite prendre des proportions énormes.

Et puis il y a cette anxiété permanente : et si je rate, et si je ne suis pas assez bon, et si je n’ai pas ma récompense… Dans notre société de plaisir immédiat, l’échec n’est pas bon. Mais on parle d’échec personnel : mon apparence, la conséquence sur mon image. Le groupe a toujours été important dans la vie de l’adolescence, mais ce concept de clan n’a plus les mêmes enjeux puisqu’on parle de milliers de vues, de likes, de partages, etc. L’amitié, concept si important dans la vie d’un adolescent, devient un concept flou. (voir aussi les graphiques présentés plus haut sur la baisse des interactions sociales réelles et leurs conséquences…). En fait, je dirais que tout devient flou. On ne sait plus qui on est nous. Est-ce que je suis moi, ou l’image que je donne de moi ? Cela crée une pression énorme sur les épaules de l’enfant.

En enfin, et ce n’est pas que du ressort de la technologie, mais du monde global dans lequel on vit : un sentiment d’insécurité et de solitude face aux grandes questions de leur génération. L’avenir de la planète ? L’économie mondiale ? Les fake news : qui croire ? Les politiciens ? Et identitairement, je ne sais plus : qui je suis, qui j’aime… l’insécurité est grande.

Alors quels signes doivent nous alerter, nous parents ?

Je dirais qu’on peut déjà voir s’il y a une addiction. On parle alors du modèle des 4c de la dépendance comportementale:

  1. Est-ce que le comportement est compulsif ? L’enfant est-il tout le temps sur son téléphone, sans arrêt ?
  2. Est-ce qu’il y a une perte de contrôle ? « Oups, ça fait 5h que je suis sur mon téléphone je n’avais pas remarqué et n’ai pas vu le temps passer »
  3. Est-qu’il s’agit d’une activité continue malgré les conséquences négatives : « j’ai un contrôle, j’aurais du réviser, j’ai eu une mauvaise note mais j’ai préféré jouer sur mon téléphone.« 
  4. Est-ce qu’il y a une constante préoccupation : des signes nerveux à table par exemple quand le téléphone n’est pas là…

Ces quatre attitudes doivent vous alerter. On peut consulter, demander des avis, se faire aider. Cela veut dire en tous cas qu’il y a quelque chose à faire, au risque d’aggraver les conséquences.

La question que tout le monde se pose, c’est sur l’âge d’équipement des enfants…

Avant 10 ans, les enfants ne sont pas prêts. Les smartphones ne sont pas adaptés à leur cerveau. C’est justement l’âge où leur cerveau doit apprendre à se débrouiller seul. Trouver une solution, une stratégie, un chemin tout seul…

Entre 11 et 12 ans : vous y échapperez déjà plus difficilement, car c’est l’âge aussi de la sociabilisation importante en groupe. Et aujourd’hui, c’est sur les réseaux qu’elle se passe.

Je dirais qu’il n’y a pas de règles véritables sur l’âge : tout dépend des enfants. Il y a des autonomes et responsables. D’autres très cocoonés et dépendent de leurs parents et ne sauront rien faire seuls. Car ils n’auront pas été responsabilisés.

Ce qui est important, c’est de comprendre qu’ils ont besoin de nous pour dompter cet outil.

Alors que devons-nous faire, nous parents d’adolescents ?

Apprendre plutôt que d’interdire, est pour moi la clé. Accompagner l’enfant dans cette nouvelle normalité.

Interdire et diaboliser un smartphone chez un adolescent n’aura sans doute pas les effets attendus. Et puis, c’est trop tard, notre monde est entièrement tourné vers les technologies et notre rôle est de les préparer à ce monde-là, et non de les en éloigner.

Il faut donc éduquer les enfants à ces outils. Ne pas les équiper par dépit et les laisser se débrouiller. C’est impossible. Ils ont besoin de nous. Et cela commence à la maison. Apprendre à l’enfant à gérer ses frustrations, donner des limites, faire respecter ses limites avant l’équipement d’un téléphone, aidera l’enfant à l’avenir. Eduquer à la frustration, apprendre à un enfant à contrôler ses envies est donc primordial. Cela passe aussi par l’apprentissage de la différence entre « envie » et « besoin ». (A ce propos, lire aussi l’interview de Claude Halmos ce week-end dans Le Monde)

Ensuite, laissez-les s’ennuyer. On l’a déjà beaucoup répété, mais ne pensez pas que si vos enfants s’ennuient c’est que vous êtes de mauvais parents. Il y a une part de sur stimulation aussi donnée par nous dans leur enfance et qui peut rappeler cette sur-stimulation des téléphones…

Devons-nous tout contrôler ?

Je dirais qu’il faut faire évoluer les règles avec l’enfant. S’il voit les règles comme des punitions, il va être beaucoup plus fort que nous pour les détourner, il sera tenté de mentir, de cacher et la confiance sera rompue. La clé est d’apprendre à se réguler lui-même.

Là aussi, cela dépend de l’âge des enfants. Souvent, les parents se focalisent sur les dangers des rencontres que l’on peut faire à cause d’Internet, des réseaux sociaux. Mais le vrai danger, sur Internet, c’est soi-même. Plutôt que de se focaliser sur le contrôle des contenus, le parent peut aider l’enfant, en observant ses attitudes : « t’as mal à la tête après avoir joué ? Ah, et qu’en penses-tu ? Peut-être que c’était trop ? ».

Impliquer aussi dans l’autre sens est également possible : « Tu n’as pas eu assez de temps sur ton téléphone cette semaine ? On peut essayer de voir pourquoi », on discute. Pour le contrôle, on regarde ensemble et on parle : « est-ce qu’on peut faire un tour sur ton groupe WhatsApp, est-ce que tu as des questions ? des choses qui t’ont surprises, avec lesquelles tu n’es pas à l’aise ? Comment puis-je t’aider ? »

Limiter le temps n’est plus nécessaire si l’enfant sait contrôler son rapport avec le téléphone. Vous avez par exemple des enfants qui peuvent passer un week-end entier à jouer à la console en réseau et qui ne vont pas jouer du tout la semaine. Si vous voyez que l’enfant reste en contact avec des copains réels, que ses notes ne chutent pas, un week-end de jeux, si c’est exceptionnel, ça peut même être génial !

Magdalena, quels conseils donnez-vous aux parents qui nous lisent ?

Je donne souvent 3 pistes à appliquer à la maison :

  1. Être clairs sur les limites d’utilisation du téléphone : pas dans la chambre, pas pendant les devoirs, pas à table. La suppression des alertes peut aussi être une règle également à adopter.
  2. Privilégier les activités. Le problème avec la tech, c’est que la tête est sur-sollicitée, le corps est divisé en deux et on perd le reste du corps. La clé, pour des parents, ce serait de chercher d’autres sources de dopamine. Une marche à l’extérieur. Le gain de match, du sport à haute dose, en compétition. Voilà des plaisirs qui peuvent vraiment concurrencer les jeux vidéos et les téléphones. L’art, la musique, jouer d’un instrument sont des bons stimuli aussi.
  3. S’interroger tous, dans la famille, sur la place des outils technologiques dans notre vie. C’est difficile pour un parent de dire : « stop le téléphone » alors qu’il est dans notre propre chambre et que l’on travaille dessus le soir ou le week-end.

Tout n’est pas noir dans les technologies… au contraire ! Et surtout en expatriation, où le contact avec la famille est vraiment facilité etc. C’est l’usage en mode « junk » qui est à proscrire. Nicholas Kardaras, dans son livre “Glow Kids : How Screen Addiction Is Hijacking Our Kids-And How to Break the Trance” parle de légumes numériques vs junk food numérique. Manger un burger dans un fast food une fois de temps en temps n’est pas si grave.

Dans ce monde en transition peut-on encore rassurer ces adolescents ?

On peut les entendre, les écouter, accueillir leurs inquiétudes. On peut leur apporter notre confiance et des armes pour confronter ce monde. Ils ont besoin de nous !

Merci à Magdalena Zilveti Manasson d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !

Magdalena est psychologue-coach, psychotherapeute dans le New Jersey, USA (www.intelligence-nomade.com) et l’auteur d’un livre sur les dessous psychologiques de l’expatriation « Réussir sa vie d’expat. S’épanouir à l’étranger en développant son intelligence nomade » aux éditions Eyrolles.

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